Shining andalou
Parcours : Ronda - Córdoba
Distance : 203km
Attablé pour mon petit-déjeuner avec du lait et des céréales, j’observe au comptoir deux espagnols qui discutent en enchaînant
les verres de digestif. Il est 9h30 du matin.
Le temps est à la pluie aujourd’hui pour la première fois depuis le début de mon voyage. Il faut bien que la nature retrouve ses repères automnaux.
La campagne vallonnée prend ici des aires de Toscane, en plus sec. La route rectiligne qui la traverse s’étend tout droit à l’infini. De part et d’autre, les champs d’orangers sont reconnaissables à leur clôture (les brigands ne sont pas voleurs de pommes mais voleurs d’oranges ici).
Direction le château d’Almodóvar del Río, construit sur un promontoire qui surplombe le Guadalquivir. Ou plutôt reconstruit, car au début du XXème siècle il n’était plus qu’une ruine. En faisant de la restauration de ce lieu le projet de sa vie, le propriétaire — comte de son état — a permis de redonner corps et vie à un château dont les premières pierres datent de 760 ! Au vue de l’état dans lequel il se trouvait avant les travaux (à peine deux tours encore debouts et dans un état déplorable), il est difficile de dire à quel point la version restaurée est proche de l’originale ou non. Il fait peut-être partie de ces monuments historiques qu’on a reconstruit tels qu’on les imaginait, avec les yeux, les modes et les croyances en vigueur au moment de la restauration. Peut-être que l’esthétisme à primer par endroit sur l’aspect pratique d’un tel bâtiment. Car il faut bien le dire, c’est un très beau château, qui se dresse et se dessine parfaitement sur son rocher. Si bien qu’il a été choisi comme décor pour certains épisodes de la série Game of Thrones.
Le Guadalquivir traverse l’Andalousie d’est en ouest. J’étais il y a quelques jours à peine à son embouchure, à Sanlúcar de Barrameda.
Et il est encore là aujourd’hui, à Cordoue. Malgré la ville et les quais, ses berges restent assez sauvages, de nombreux peupliers y
prospèrent les pieds dans l’eau et beaucoup d’oiseaux profitent ici de la faible profondeur et des replis du fleuve pour y trouver
refuge ou nourriture. Cette ouverture large et claire apporte de la fraîcheur à la ville, qui n’est que pierre et soleil.
La fraîcheur est aussi à rechercher à l’intérieur des bâtiments et notamment dans les patios. Espace à l’air libre en pleine ville,
mais dans le calme de sa maison. Puits de lumière, constant ruissellement de l’eau d’une fontaine, végétation luxuriante. Lieu de vie,
havre de paix.
Un palais ouvert au public permet d’avoir un bel aperçu de ces cours, des plus intimes aux plus exubérantes. Il y a parfois
une ouverture dans l’un des murs qui les ceignent, donnant par cette lucarne un aperçu à tous les curieux sur son espace intérieur.
Et ce afin de provoquer par la magnificence de son patio l’envie, la jalousie, le respect ou l’admiration de la population qui n’a
pas le luxe de posséder pareil aménagement. L’exhibitionnisme de la richesse n’a pas d’époque.
Comme dans beaucoup d’autres villes d’Espagne, les plaques de rues, les numéros des immeubles ou les enseignes des commerçants sont
faites en céramique. Et elles ne sont pas collées, mais intégrées directement au mur. Ce ne sont pas des décorations qui viennent
s’ajouter par-dessus autre chose, selon les modes ou les goûts des habitants. Elles sont au contraire l’essence même de ces
bâtiments et de ces villes, apportant une signature unique à chacune d’entre elles.
Je mange sur une place calme près du centre de Cordoue, entre orangers, palmiers et cyprès, et contemple le soleil se coucher sur les
murs clairs de la ville.
Ce soir, l’hôtel est loin dans la campagne, le long d’une route nationale. Perdu dans cette nuit sans étoiles, au milieu
des champs, la lumière verte d’une station-service est le seul phare qui me guide. Je me gare sur le parking adjacent. La station est
déserte, les quatre pompes sont éclairées par la lumière crue qui leur tombe dessus. Au-delà de ce cercle de lumière, tout n’est
qu’obscurité. Le silence n’est troublé de temps en temps que par le grondement d’une voiture qui se rapproche, passe à grande vitesse
à côté du parking puis s’éloigne vers l’autre extrémité de la nuit. À l’opposé du parking se trouve l’hôtel, dont l’enseigne lumineuse
ne fonctionne pas. Il y a néanmoins une longue vitrine au rez-de-chaussée qui laisse voir la salle éclairée du restaurant. Ne cherchant
que l’hôtel je suis les flèches qui m’y mène vers l’étage, quand soudain une sortie de secours au pied de l’escalier s’ouvre, me laissant
face à un homme de main espagnol (que je soupçonne aussitôt d’être mexicain). Il s’avère très courtois et m’invite à rentrer dans le
restaurant pour l’enregistrement. Il m’a vu ou entendu arriver de loin avec ma valise. La salle est immense, il y a de longues tables
recouvertes de nappe en papier blanc qui sont entièrement vides. Une forte et désagréable odeur me monte au nez à mesure que je me
rapproche de la cuisine. C’est là justement que mon homme me guide, vers deux serveuses à qui je décline mon identité avant d’attendre
patiemment la clé de ma chambre.
L’attente me permet d’observer plus en détail les lieux. Je ne vois que deux clients. Un homme, jeune, barbu, assis au comptoir du bar
devant une pinte de bière à peine entamée. Écouteurs aux oreilles, son attention est toute entière à une vidéo qu’il regarde sur son
téléphone et qui le fait éclater de rire. Et puis une jeune femme, attablée seule à une table pour quatre près de la vitrine. Triste.
Elle à l’air d’attendre, mais de ne pas savoir quoi. Le temps semble suspendu, j’ai l’impression d’être dans une ambiance de film noir.
Après cette entrée en matière, je monte à l’étage pour trouver ma chambre. Le comptoir du réceptionniste est désert, les couloirs
sont vides tout comme les petits salons. J’ai l’impression d’être seul dans cet hôtel qui doit pourtant posséder plusieurs
centaines de chambres. Celle que l’on m’a assignée se trouve étrangement à l’autre bout de l’étage, si bien que je dois parcourir plusieurs
longs couloirs avec une moquette aux motifs géométriques au sol…
Finalement dans ma chambre, je verrouille ma porte pour en terminer là avec cet épisode andalou de Shining.
Photos
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Dès l’instant où l’on n’est pas un matérialiste avéré c’est faire preuve d’indigence mentale et d’ineptie que de ne pas croire à la puissance des incantations et mantras. N’importe lequel d’entre nous a vu sa propre vie modifiée par des paroles qui n’étaient que mots d’hommes adressés à des hommes. Qu’il y ait de mauvaises recettes, de fausses formules, des “sésames” en toc et des bataillons de faux mages, d’escrocs, de simili-gourous ou de simples farceurs ne change rien à l’affaire. Les Indiens d’Amazonie achètent à Manaus de vieilles ampoules usées qu’ils suspendent par des ficelles pour décorer leurs paillotes. C’est joli; mais pour l’éclairage ! Évidemment, quand le courant n’y est pas ! Et cela ne prouve rien contre l’électricité.