Le pays basque
Parcours : Paris - Donastia
Distance : 709km
Voyager, c’est abandonner. Laisser derrière soi les certitudes du quotidien. C’est dépasser les bornes mentales de son quartier ou de son pays. Bornes que nous avons nous-mêmes placées là, et derrière lesquelles s’étend notre terra incognita. C’est se laisser porter par la vague du mouvement qui vous prend et à laquelle on ne peut s’opposer. C’est rentrer tête la première, de son plein gré mais avec réticence, vers l’instabilité. Dans cette dualité d’excitation et d’angoisse pour qui a l’âme d’un voyageur mais le cœur d’un rat de bibliothèque.
Le train, éternel ami du voyageur, m’emmène pour commencer de Paris en Hendaye. Hendaye, terminus, tout le monde descend. Mon trajet me pousse pourtant vers l’Espagne, mais le réseau ferré m’oblige à un changement pour traverser la frontière. L’écartement des voies n’étant pas égal entre les deux pays. Une nouvelle ligne à grande vitesse semble à l’étude et pourrait régler ce problème dans quelques années – le nouveau réseau à grande vitesse espagnol étant construit avec l’écartement standard européen.
Tout au long du parcours de l’Eusko Tren qui me conduit à San-Sebastian des panneaux sauvages sont posés à l’attention des touristes. Des panneaux qui souhaitent la bienvenue en Pays Basque, affirmant – majuscules à l’appui – que nous ne sommes pas ici en Espagne. D’ailleurs la langue principale pour l’affichage public est le basque. Ce qui n’est pas sans poser problème à l’infortuné voyageur qui veut acheter un billet de train, et qui n’a pas connaissance du fait que San-Sebastian et Donostia sont une seule et même ville.
Dans les rues désertes qui me mènent vers ma première auberge, à un carrefour, je suis soudain pris d’un sentiment étrange, presque angoissant. Quelque chose me semble inhabituel dans ce paysage urbain. Il manque un pan entier d’immeubles. Les quatre murs qui enferment nos vies ne sont plus que trois. Un horizon s’est ouvert. C’est un vertige qui me prend de constater ce vide. Il est trop loin encore pour comprendre de quoi il s’agit, mais ce bout de ciel qui descend jusqu’à la terre m’attire irrémédiablement. Et puis je le vois. C’est lui, en bas du ciel, qui ouvre cette perspective. L’océan. Sur la large plage de sable, les joueurs de volley réservent un terrain en déposant leurs affaires, puis attendent à l’abri d’un muret quelques mètres plus loin que le soleil baisse. La température dépasse encore les 30 degrés en fin d’après-midi, alors que nous sommes début octobre. C’est un situation qui semble inhabituelle ici aussi. La plage n’en est que plus remplie, tout comme l’eau éblouissante de lumière dans laquelle de nombreux surfeurs s’exercent. Ils remontent les vagues à la force des bras pendant un long moment pour profiter ensuite au mieux de quelques secondes de glisse.
L’après-midi prenant fin, les rues se remplissent. Je me laisse conduire par le flux, curieux du lieu où se rendent les personnes costumées de blanc et de rouge que je croise. Il en vient de toute part, qui pareil à des affluents se rejoignent aux carrefours pour former de plus gros cortèges, grossissant à nouveau aux carrefours suivants jusqu’à déboucher en grand nombre sur une large place au cœur de la ville. Un spectacle de danse basque y est organisé. Différents groupes s’y relaient au rythme de l’orchestre, chacun pour une danse différente. Les plus spectaculaires étant la Zinta dantza (danse des rubans) et la Godalet dantza (danse du verre). Dans la première, les danseurs sont répartis en plusieurs groupes, chacun formant un cercle autour d’un poteau central. Chaque danseur a un ruban de couleur noué au poignet, l’autre extrémité étant fixée au haut de ce mât central. Puis tout le monde se met à tourner, les uns dans un sens, les autres à l’inverse. Ils se croisent une fois par en-dessous une fois par en-dessus, avec la régularité d’une couturière, si bien que les rubans tressent un motif coloré autour du poteau. Puis en tournant dans l’autre sens ils détressent les rubans avant de quitter la scène. Pour la danse du verre, les danseurs viennent tour à tour faire quelques pas très fins autour d’un verre posé au sol, et rempli d’un liquide. Et s’ils s’en sentent capables terminent par un saut qui les propulsent en équilibre la pointe des pieds sur le verre, sous les vivats de la foule.
De ce spectacle auquel j’assiste par pur hasard, se dégage une ambiance de fête populaire d’un autre temps. Toutes les générations sont représentées. Le public semble réagir à chaque nouveau morceau joué par les musiciens, prêt à envahir la place pour participer aussi aux danses. La fête se poursuit dans les rues autour, les participants ayant terminés retrouvent famille et amis dans les bars environnants, noyant le quartier d’alcool et de tapas. Mais même en dehors de ce quartier festif les rues se sont remplies de manière surprenante, me rappelant à quel point les espagnols vivent le soir. Les jardins d’enfants déserts tout à l’heure débordent à présent de vie. Il est pourtant 20h30 et la nuit est déjà complètement tombée depuis une heure.
Je cherche un peu de calme auprès de l’océan, à présent vidé de sa présence humaine. Et pour ce premier dîner frugal loin de chez moi, j’ai pour compagne la Grande Ourse qui s’est rendue visible plein nord au-dessus des eaux noires.
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Trop de gens attendent trop du voyage sans s’être jamais souciés de ce que le voyage attend d’eux. Ils souhaitent que le dépaysement les guérisse d’insuffisances qui ne sont pas nationales, mais humaines, et l’ivresse des premières semaines où, tout étant nouveau, vous avez l’impression de l’être vous-même, leur donne l’impression passagère qu’ils ont été exaucés. Puis quand le moi dont ils voulaient discrètement se défaire dans la gare du départ ou dans le premier port les retrouve au détour d’un paysage étranger, ce moi morose et solitaire auquel on pensait avoir réglé son compte, ils en rendent responsable le pays où ils ont choisi de vivre. Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C’est une règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n’a jamais coulé ne sauront jamais rien de la mer. Le reste, c’est du patinage ou du tourisme.