Dans les nuages
Parcours : Notre-Dame-des-Neiges - Chasseradès
Distance : 14.4km
(D+ 466m, D- 382m)
Quel est ce refuge où la moitié de la maisonnée dort encore à 8h ? Ce sont sûrement là les personnes venues en voiture et qui n’entendent pas l’appel du chemin de bon matin. Le petit déjeuner est semblable au dîner, dans un self-service de colonie de vacances. Nous logeons et mangeons dans une dépendance de l’Abbaye, aussi ne sommes-nous pas en contact des moines qui y habitent. Il est possible d’en apercevoir au loin dans la cour ou au potager, ou encore dans l’église. Assister aux vêpres hier soir a suffi à épancher ma curiosité, je prends la route dès que possible sans faire un tour à l’office du matin. Mais mon pas énergique est vite bridé quand je me retrouve coincé derrière un troupeau de vaches qui s’en vont paître, guidées sur la route par le berger et son chien. À chaque lieu ses problèmes de circulation.
Dans la vallée en bas de Notre-Dame-des-Neiges, en redescendant vers la Lozère se trouve La Bastide-Puylaurent. Ce village était censé posséder un distributeur à billets, le seul des environs, et c’était là l’occasion de remplir son portefeuille dans ce pays où la carte bancaire est une devise étrangère. Mais angoisse et déception. Le distributeur de billets se trouve être l’épicier du coin, et j’apprends qu’il ne peut distribuer que les billets de certaines banques, et uniquement les veilles de pleine Lune et à la condition de formuler sa demande en portugais. Je me contenterai des économies qu’il me reste, mais il est nécessaire de commencer à compter ses sous pour ne pas être contraint à dormir dans la paille et à manger de la soupe d’orties froide.
De l’autre côté de la vallée on remonte, sur des chemins forestiers aussi monotone que de l’autre bord. Mais l’expérience change à l’approche du sommet. Pour la première fois on passe la barre de 1300 mètres, et c’est ici le point culminant des alentours. La brume se tasse au-dessus des arbres le long des pentes, et puis s’effiloche avec le vent et dérive autour de moi en mouton. C’est là, au milieu de cette toundra d’altitude que je vois apparaître à moi tout soudain une énorme éolienne qui se dresse toute proche de moi. Suivi d’une autre, à peine plus loin. Vision extraordinaire que ces énormes éoliennes qu’on ne fait que deviner dans le cache-cache des nuages. Encore la brume, qui dessine des ombres, dévoile une forme et puis masque la vue de ses langues rapides. Un promeneur perdu dans ses pensées pourrait par un jour de demi-brume passer à moins d’une centaine de mètres d’une éolienne et ne pas la voir. À défaut de la vue, peut-être que le son pourrait le tirer de ses rêveries. Car à son pied on ne peut que lever la tête à la recherche de l’avion qu’il nous semble entendre tout là-haut. Que nenni, c’est éolienne elle-même qui en est à l’origine.
Sur la descente, je recroise les voyageurs qui hier avaient de la peine à faire traverser à gué leur âne. Ils sont aujourd’hui bloqués en pleine voie, sans obstacles apparents. Et dans une image qui semble tout droit sortie d’un conte pour enfants, je vois une jeune femme tendant une carotte devant le museau de l’âne pour l’inciter à avancer. Sans succès.
L’étape est bien courte aujourd’hui, je suis en avance sur l’horaire d’ouverture du gîte, aussi m’installé-je dans un champ rempli de criquets pour une sieste à l’ombre. Je suis réveillé en sursaut par un son de cloche qui me semble se rapprocher. Je remballe le matériel de sieste et quitte précipitamment les lieux. S’il avait aussi ces contraintes du monde paysan et animal, RLS n’avait en revanche aucune connaissance des notions “en retard” ou “en avance”. Vivant avec le soleil, sans personne pour l’attendre, n’ayant pour seul autre impératif que celui d’avoir trouvé un toit avant la nuit ou à défaut d’avoir dressé son campement. Une telle expérience ne peut-être reproduite qu’avec une tente et en autarcie. L’idée que l’on puisse partir à l’aventure sans préparation avec la certitude qu’on trouvera l’hospitalité chaque soir ne semble plus de notre époque. Ou que les lieux sont trop touristiques, et alors les réservations à l’avance sont indispensables, ou alors pas assez, auquel cas les auberges ont fermées depuis plusieurs dizaines d’années.