La brume
Parcours : Le Puy-en-Velay - Bouzols
Distance : 9.8km
(D+ 376m / D- 287m)
Je ne suis pas un de ces voyageurs qui s’enthousiasment à froid, qui admirent là où leur guide leur dit d’admirer, ou qui feignent d’avoir eu, devant des hommes et des localités recommandés d’avance à leur admiration, des sentiments absents de leur cœur; non, j’ai dépouillé mes sensations, je les ai mises à nu pour les présenter à ceux qui me lisent; ce que j’ai éprouvé, je l’ai raconté faiblement peut-être, mais je n’ai pas raconté autre chose que ce que j’avais éprouvé.
L’odeur de la rosée, l’air frais et piquant du matin sur mon visage, le soleil rasant dans la crinière d’un cheval qui me regarde passer plein de curiosité. Voilà le sentiment de liberté qui arrive, qui monte. Plus de liens, plus d’obligations si ce n’est celle de marcher pour soi. La pression de l’organisation s’estompe tout soudain pour faire place à l’action. Le premier pas, le second, le chemin droit et dégagé, le silence à peine troublé par quelques oiseaux qui s’éveillent. Le sac à dos qui paraît léger, son contact, sa présence rassurante. Les jambes fortes, qui me poussent vers l’avant, vers cette soif de l’inconnu. Le début d’une nouvelle vie.
Je reste un moment perché sur les hauteurs du Puy, à contempler la ville en contrebas, baignée dans la brume dont émerge la statue Notre-Dame de France et le clocher de la cathédrale. Cette brume qui dévoile et masque tour à tour des parties de la ville qu’elle enveloppe, qui joue avec la lumière du matin pour porter notre regard là où elle veut. Avec l’assurance de qui se sait vu, dans la maîtrise parfaite du jeu de séduction.
Mais je suis fauché dans cet élan de rosée matinale car je pars accompagné cette fois-ci, et l’accompagnant n’arrivant qu’en début d’après-midi, il me faut remettre cette soif de l’inconnu à plus tard, et jouer les touristes en short le temps que le binôme en question arrive dans ce coin de France oublié de la SNCF. Les locaux semblent très attachés non pas à cette brume mais à leurs monuments, parmi les plus appréciés des français (dixit France 2), le rocher Saint-Michel d’Aiguilhe et la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation. La cathédrale construite en haut d’une colline pentue a la particularité d’avoir été agrandie au-dessus du vide, faute de terrain plat alentour. L’énorme escalier qui permet d’y accéder a lui été construit en suivant les courbes du terrain, si bien que les portes d’entrée sur la façade avant se situent sous le niveau du sol et que l’escalier principal mène directement au cœur du bâtiment. C’est là un effet des plus surprenants, de se retrouver subitement face à l’autel, comme si c’était là le chemin des mariés venant prononcés leurs vœux devant les yeux de la plèbe, entrée elle par l’accès secondaire à l’arrière.
Il y a effectivement de quoi trouver beaucoup de charme dans cette ville, où hormis ces monuments notables l’architecture laisse penser à une ville qui fut prospère, avec de nombreux bâtiments qui semblent être d’anciennes maisons de quelques riches commerçants. À cela on ajoute ces tuiles rondes qui lui donnent un côté très latin, et des rues qui n’en finissent plus de monter, de descendre, de serpenter sur ce relief qui n’offre aucun répit.
J’en termine là mon tour du Puy car nous voilà maintenant deux, parés à débuter ce voyage. Robert-Louis Stevenson guide ici nos pas, il a effectué un voyage similaire il y a près d’un siècle et demi, qu’il a intitulé Voyage avec un âne dans les Cévennes. Précurseur du voyage comme loisir, il est parti en solitaire du Monastier-sur-Gazeille (que nous atteindrons demain) jusqu’à Saint-Jean-du-Gard, en compagnie de son ânesse Modestine achetée pour l’occasion. Ne m’étant pas attaché les services d’un âne, nous pourrions ici de fait modestement intituler ce voyage et ce récit Voyage sans âne mais avec Tom dans Les Cévennes. Dans un souci de lisibilité et afin de mettre à profit l’immense privilège que représente dans la vie le fait d’avoir des initiales de plus de deux lettres, nous ferons référence plus avant dans le texte à l’auteur écossais en tant que RLS.
Il nous faut monter tout de suite plusieurs pentes assez raides pour sortir de la ville, et passée la première bosse, nous plongeons directement dans une nouvelle vallée, dans un monde différent, à travers les champs de maïs et les noyers qui nous apportent fréquemment leur ombre. Ce n’est pas un plateau pour autant, car ici le contexte géologique est particulier. On distingue toutes les anciennes cheminées des volcans éteints qui recouvraient la région il y a plusieurs millions d’années, et que l’érosion et la végétation n’ont pas encore effacées. Cela donne de nombreuses petites collines, pas très hautes mais au côtes bien prononcées. On voit ces bosses qui s’enfilent de toute part, à l’infini, sur l’horizon bleuté.
Sur l’une d’elle, le château de Bouzols, qui nous sert de cap car c’est à son pied que nous dormirons ce soir. Nous traversons la Loire à Coubon puis entamons la dernière ascension vers le château pour en terminer avec cette courte étape. Courte mais non moins fatiguante, car le rythme de la marche n’est pas encore tout à fait là, et le poids du sac n’a pas encore été complètement assimilé. Nos hôtes sont heureusement des plus agréables et nous nous restaurons copieusement après une journée de mise en appétit. Nous partageons le repas avec un couple de randonneurs et pressentons ce que sera notre voyage, solitude du jour, compagnie du soir. Compagnie arrosée du soir, puisque après avoir débuté la journée avec la rosée, nous la finissons avec le rosé.