J11 : les tentacules du Vatnajökull
Parcours : Vik - Vik (via Jökulsárlón)
Distance : 384 km
C’est l’étape la plus longue aujourd’hui, et de loin, mais je ne pouvais pas passer à côté du lac Jökulsárlón, vous allez voir pourquoi.
Je longe donc la côte sud, là où se jette de nombreuses rivières prenant source dans les glaciers voisins. En cas d’éruption ou de réchauffement du volcan sous les glaciers, ces mêmes rivières se transforment l’espace de quelques jours en torrents déchaînés rasant absolument tout sur leur passage jusqu’à la mer. C’est pour cela que s’étendent là de longs passages arides, véritables déserts de sable noir. Encore un nouveau paysage, encore une nouvelle ambiance. Et je peux comprendre cette envie de quitter la route pour faire du hors piste (pourtant formellement interdit), pour s’imbiber au mieux de cet horizon, qui bien que complètement vide apporte justement une présence forte.
La route se vide à nouveau.
Je n’ai malheureusement pas le temps de m’abandonner comme je l’aurais souhaité dans ce lieu à l’atmosphère particulière, et je ne peux qu’admirer en passant le courage simple de quelques brins de verdures qui pointent à travers la désolation.
La rosée du matin, version islandaise.
Plus loin vers l’Est s’étend un immense champ de lave, résultat de l’éruption du volcan Laki et de ses petits voisins (une centaine de cratères !). C’est en 1783 qu’ils explosèrent tous en cœur, relâchant quantité de lave, de cendres et de gaz toxiques. À court terme, cela provoqua la mort de 20% de la population islandaise, à plus long terme cela dérégla en profondeur les saisons pour quelques années, provoquant une immense famine au Japon ou encore une baisse du cours du Nil en Afrique. En France, l’hiver qui suivi fut des plus froids puisqu’il gela la Seine, et conduisit quelques années plus tard à une révolution qu’on connaît bien.
De la lave, plein. Bon avec de la mousse c’est moins impressionnant que lorsqu’elle est en fusion, je vous l’accorde.
Plus à l’Est encore attend le Vatnajökull, le plus grand glacier d’Europe. À lui seul il occupe 8% de la superficie de l’Islande ! Et plus on avance, plus on se rend compte ce que cela signifie. Dans chaque vallée qui s’ouvre sur la route et sur la mer descend une langue de glace énorme, qui se termine par un lac de fonte. Les vallées s’enchaînent, et dans chacune d’elle la même glace qui descend des sommets. Cela me donne vraiment l’impression d’un géant tentaculaire, qui repose sur les hauts sommets des volcans qu’il domine, et qui étend ses bras de glace partout où il le peut.
Une tentacule du tentaculaire glacier.
Le Jökulsárlón est justement un de ces lacs qui se trouvent au pied du glacier. Celui-ci a la particularité d’être le plus gros et de laisser dériver à sa surface des icebergs jusqu’à la mer toute proche. Il y a là plusieurs centaines de ces icebergs qui se bousculent à la sortie pour passer sous le pont où coule le bras d’eau vers le grand large.
Plus à l’Ouest, ils sont moins nombreux, mais plus facilement détaillables, et il est d’ailleurs possible de se promener tout au long de la berge pour se rapprocher au plus près du bas du glacier. Il n’y a d’ailleurs là plus aucun touriste, les seuls signes de vie sont quelques oiseaux peu farouches qui sautillent près de moi.
Générateur d’icebergs.
Les formes et les couleurs sont toutes différentes, certains font quelques centimètres à peine, et échouent sur les bords du lac pour y fondre en quelques secondes, d’autres sont long de quelques dizaines de mètres et parfois se retournent quand le centre de gravité bouge.
Dans ces eaux gelées barbotent quelques phoques, mais aussi de nombreuses troupes de canards qui semblent parfaitement équipés pour ces températures. Les duvets de canards dans nos couettes ne sont pas là par hasard.
Un iceberg fraîchement retourné.
Au loin, les grondements sourds en provenance du glacier laisse présager des forces de la nature qui se disputent un bloc de glace, et qui restent invisible à notre œil.
Le soleil s’en va par-delà les montagnes, et je m’en rentre aussi par la route du matin. Mais ce n’est pas le même chemin que précédemment. Non, cette période entre chiens et loups qui s’installe après que le soleil soit passé sous l’horizon, et que nous ne connaissons pas en France, change complètement le paysage. La Lune se teinte de rose, le brouillard commence à monter des champs cultivés mais aussi des champs de lave pleins de mousse. Et cela change complètement le ressenti de ces lieux, on passe d’un désert bosselé de mousse à quelque chose de beaucoup plus vivant. Les courbes sont adoucies par cette brume qui remplie d’abord les creux, et n’émergent alors plus que quelques pointes ça et là. Cette ombre blanche se nourrit et s’épand à l’infini, recouvrant des zones entières dans son manteau fumeux, laissant alors à notre imagination la chance d’y voir ce qu’elle veut. Féerique. Oui vraiment, c’est absolument féerique, il n’y a pas d’autres mots. La Terre du Milieu n’est plus très loin.
Mais il faudra aller sur place pour en profiter, je n’ai pas de photos à vous montrer. Prendre des photos ou prendre des auto-stoppeurs, il faut choisir.
Moutons du jour :
Ghetto pour moutons