J2 : le Cap Corse
Parcours : Bastia - Bastia
Distance : 150 km
Le soleil ne laisse toujours pas de répit, dès 8h il vous guette où que vous mettiez les pieds, prêt à vous faire rôtir les boyaux sur les roches blanches affleurantes en bord de mer, dans les odeurs sauvages du maquis. D’ailleurs oui on parle de maquis, la garrigue étant un terme spécifique pour une végétation similaire mais qui pousse sur un terrain calcaire.
Direction l’extrême pointe nord du cap Corse. Il faut passer plusieurs villages, banlieues aisées de Bastia, où s’enchaînent les maisons privées les pieds dans l’eau. Il faut pousser un peu plus au Nord pour s’en libérer et voir des versants nus plongés dans l’eau, crique après crique. La route change aussi, devient plus étroite, plonge entre quelques arbres, serpente, accélère, descend, se perd en lacets, remonte, et se fait avaler petit à petit par le paysage. On accélère, droite, gauche, on fixe les pointillés centraux, pâles et réguliers qui séparent en deux voies une chaussée à peine assez large pour une. Et on se perd nous aussi dans ce labyrinthe, oubliant la destination, vivant chaque virage comme une expérience nouvelle. Et l’on est presque déçu alors quand un signe d’humanité réapparaît soudain et nous projette d’un coup au milieu d’un village.
Une des routes dont on voudrait qu'elle ne finisse jamais
Il y a un long chemin de randonnée qui fait le tour du cap Corse, mais je n’en prendrai malheureusement qu’une petite partie car ce n’est pas un circuit mais un aller simple. D’ailleurs petite curiosité lexicale, il est connu sous l’appellation “Sentier des douaniers”, c’est un patronyme assez courant pour un chemin, puisqu’on en retrouve d’autres le long de la Côte d’Azur ou encore de la Bretagne par exemple. Il y a une raison historique à cela, au XVIIIe siècle pour éviter que des contrebandiers ne débarquent de marchandises le long des côtes hors des ports contrôlés par l’État, s’affranchissant ainsi des taxes de douane sur les produits importés, des rondes de douaniers sont organisées le long des littoraux. (source)
Messieurs les douaniers ! Il y a une vache sur la plage !
Devant un ancien moulin à vent, je me perds soudain en rêveries à la lecture de la plaque relatant ses origines. Ce n’est plus qu’un support publicitaire pour une marque d’alcool capcorsin. Et ce depuis plus d’un siècle. Le Cap Corse Mattei était exporté dès les années 1890 dans les différentes colonies françaises et notamment aux Antilles. Quel était ce monde où traverser l’Atlantique vous emmenait dans un nouveau monde, où commercer était une aventure et où l’arrivée d’un navire dans un port était le centre des discussions ?
Il est curieux de voir combien les époques se croisent et se recherchent. Louis Napoléon Mattei puis ses descendants, en avance sur leur temps, à voir toujours plus loin, à imaginer des nouveaux marchés et des procédés marketing (placement produit dans des films par exemple), qui semblent on ne peut plus actuelles pour des idées du XIXème siècle.
Tandis que de pauvres nantis du XXIème siècle, tapis dans leur confort et leur vitesse, se prennent d’envie pour ralentir et se cogner la tête dans les bannettes trop petites d’un voilier centenaire (spoiler alert : je parle de moi).
Les rêves de grandeur et d’aventure, la recherche perpétuelle de ce qui nous échappe, de ce qui brille au loin et qui est plus grand que nous. Ce sont là des choses qui traversent les âges, et qui ont toujours autant de prise sur nous autres simples mortels.
L'Ouest du Cap Corse
Passé le cap, on se retrouve sur l’autre versant du Cap Corse, qui offre un aspect tout autre. Fini les petites vallées qui s’ouvrent en pente douce vers la mer, avec une végétation ne dépassant pas 1,5 mètre de haut. Ici c’est beaucoup plus abrupt et la route — toujours aussi large — est taillée dans la roche en surplomb de la mer. On quitte la D80 pour la D33, qui suit globalement le même itinéraire mais quelques centaines de mètres plus haut dans la montagne capcorsine. Résultat, on passe de route où on ne dépasse pas la troisième à des routes où on ne dépasse pas la seconde. On ne croise personne, on évite une vache, on s’émerveille du paysage tous les 200 mètres, on fait le plein d’eau dans les rares cascades que l’on croise dans ce pays sec. Et lorsque soudain une pancarte le long de la route indique “pont génois”, il ne faut que quelques secondes pour se décider et foncer tête la première dans les sous-bois, car on tient là un chemin référencé dans aucun guide. Cela vaut tous les arguments marketings du monde.
30 minutes plus tard, en plein milieu de la forêt, loin de toute humanité, par-dessus un cours d’eau, se dresse un pont en pierre parfaitement conservé. Le cadre est magnifique, parfait pour un bivouac en pleine nature, avec le cours d’eau pour seule ambiance sonore et de magnifiques libellules aux ailes noires pour voisines. Est-ce que ce ne sont pas ces moments sortis de nulle part, totalement improvisés et fortuits qui sont les meilleurs ? Car ils ne sont pollués par aucune expérience précédente qui pourrait créer des parallèles ou des attentes. D’ailleurs en parlant d’expérience, une phrase m’a frappé dans la déco de mon auberge de jeunesse ce matin. L’expérience dévoile la nuance.
La forêt alentour a repris ses droits depuis plusieurs siècles, et hormis ce pont il ne reste que peu de trace de l’activité humaine dans la zone. Quelques murs de soutènement et des marches posées sur le chemin qui mène au pont. Aussi je ne peux m’empêcher d’imaginer le coin quand la Corse était encore sous domination génoise, et que l’activité agricole était plus développée que maintenant. À quoi ressemblaient les cultures en terrasse ? Qu’est-ce qui y était cultivé ? Qu’est-ce qui justifiait la construction d’un pont à cet endroit plutôt que de privilégier le passage à guet plus en amont ou en aval ? Qui voyageait donc sur cette route ? C’est fou comment en quelques centaines d’années un lieu peut être transfiguré et des savoirs perdus.
Un peu plus loin sur la D33, sur les hauteurs de Canari, le timing est parfait pour manger devant un coucher de soleil sous les palmiers et se laisser émerveiller. Par les nuances de couleurs enflammées en regardant plein ouest sur la Méditerranée. Ou par les monts lointains en regardant vers le sud, plongeants dans la mer, parés d’une brume bleu-rose. De leur silhouette s’effaçant progressivement se dégage une atmosphère mystérieuse digne d’un conte fantastique.
La Comté
Je ne l’ai pas vu sur le moment, mais au dérushage des photos je découvre une belle surprise. Je suis arrivé à photographier le rayon vert pour la première fois ! C’est un phénomène atmosphérique relativement rare qui laisse apparaître un “rayon” vert voire parfois une couronne verte au niveau du soleil, dans les secondes qui précèdent et qui suivent le passage du soleil sous l’horizon. Les teintes de rouge, d’orange et de jaune auxquelles nous sommes habitués viennent du fait que lorsque le soleil est proche de l’horizon, ses rayons doivent traverser une couche plus importante d’atmosphère pour nous arriver. Cela crée un phénomène de diffusion de la lumière plus important qu’en pleine journée où la couche d’air à traverser est plus faible, et donc une seule partie de la lumière visible arrive jusqu’à nous, celle avec les longueurs d’onde les plus importantes. Dans certaines conditions favorables, ce phénomène de diffusion peut aller jusqu’à donner ce rayon vert. Pour des explications plus pointues (et plus justes !) que les miennes, je vous invite à lire cet article par exemple.
Rayon vert à droite
La nuit tombée, je profite des hauteurs de Bastia, protégé de la pollution lumineuse par un versant entier pour observer le ciel étoilé parfaitement dégagé. Ce n’est là qu’un avant-goût de ce qui devrait suivre.