J4 : festival des chants marins
Lieu : Paimpol
Je n’ai pu rentrer dans le port de Paimpol à bord de la Recouvrance hier soir pour des bêtes questions d’organisation. Mais cela a dû être une expérience impressionnante pour les autres passagers qui ont eu cette chance-là car ce vendredi c’est la première journée du Festival des chants marins à Paimpol. Et devinez quoi, tous ces chants trouvent leur origine et prennent vie avec la même chose : les bateaux. Et plus particulièrement les vieux bateaux à voiles, les vieux gréements.
Et donc voir se découper le port à l’horizon, puis distinguer les mâts des plus hauts bâtiments et les milliers de fanions flottants au vent, passer les deux écluses du port, être accueilli par les curieux à terre ou en mer avec les honneurs et le respect qu’impose la Recouvrance, dans le soleil flamboyant d’un soir d’août, voilà qui devait être un spectacle admirable. Mais peut-être qu’il y a deux siècles ça l’était plus encore, car au-delà du cadre il y avait aussi l’émotion en jeu. La barrière de l’isolement brisée par cette arrivée riche en nouvelles et en échanges, dans un sens comme dans l’autre, dans un monde plus lent où les distances avaient encore un sens.
Des fanions par milliers
Le festival est un événement très populaire qui rassemble énormément de monde. Il y a plusieurs scènes installées, certaines à bord de bateaux. Mais ce qui est aussi intéressant, si ce n’est plus, c’est que les artistes ne se contentent pas de cela et se mêlent volontiers à la foule, et ce sont là autant de concerts de rue qui se font et se défont au gré de la journée. Et il y en a pour toutes les oreilles, du groupe de barbus en marinière qui reprennent des classiques des chants marins aux virevoltants violonistes roumains en passant par le groupe de rock itinérant, lunettes noires vissées sur les yeux. C’est un curieux mélange de cultures et de personnes de tous horizons, mais il n’est pas rare pour autant de voir des inconnus se mettre spontanément à danser ensemble devant les musiciens. Il y a par ailleurs quelques larmes qui peuvent parfois perler dans l’assemblée à l’évocation de certaines chansons éveillants quelques souvenirs douloureux ou mélancoliques…
Je repasse plusieurs fois devant la Recouvrance qui a une place de choix dans le port, et j’aperçois le soir un des matelots assis sur la vergue du hunier, le dos contre le mât, à 20 mètres du sol, certainement le meilleur spot pour assister au festival. Un gabier solitaire au-dessus des tumultes de la vie, cela laisse rêveur.
Au-dessus du monde
Tout autant qu’un autre des matelots qui nous a raconté qu’il vivait lui sur son bateau, qu’il s’était acheté au lieu de s’acheter une maison. Tous les 2 ou 3 ans il le revend et en rachète un autre un peu plus grand. Et pour ses vacances il s’en va naviguer seul de par l’Europe. Avec des parents marins et ayant navigué dès son plus jeune âge, c’est certainement le chemin logique. Mais c’est un état d’esprit et un monde à part. Mais après tout oui, pourquoi tant vouloir s’emmurer au même endroit quand on peut voyager sans cesse tout en ayant son petit lieu de vie intime, en faisant de sa maison son moyen de transport ? Cela permet d’assister à des choses que le commun des mortels ne peut qu’imaginer avec difficulté. Et par exemple, comme il nous en a fait le récit, un groupe de dauphins chassant le soir venu autour du bateau, dans un banc de planctons phosphorescents, laissant des bandes lumineuses dans l’eau dans tous les sens…
Cela me replonge la veille dans la camaraderie simple et sincère, pas dans le sens “voisin de comptoir au bistrot”, mais plutôt dans la proximité, la participation à une aventure ensemble, l’émerveillement commun devant chaque bout d’île ou devant un rayon du soleil qui éclaire pour 30 courtes secondes l’horizon telle une peinture dans un instant magique que nous sommes les seuls au monde à avoir vécu, ou dans les liens d’entraide qui se mettent en place naturellement du fait de la situation de huis clos. Tout le monde est dans le même bateau, il y a quelques barrières dans le rapport aux autres qui sautent, une simplicité qui revient. C’est cela la camaraderie, tout autant qu’assister aux moments difficiles de chacun et la mise à nu qui va avec. Et en 3 jours à peine cela suffit à la créer.