La perte du hameau

Sur Les Traces De Robert-Louis Stevenson
23 août 2020

Parcours : Pont de Montvert (Le Merlet) - Florac
Distance : 28.2km (D+ 1060m, D- 1629m)

Les protestants n’avaient, jusqu’en 1787, pas droit à être enterrés dans les cimetières catholiques. Les défunts étaient donc enterrés soient dans un champ dont ils étaient propriétaires, soit près de leur maison. Il y a par chance au Merlet, un bel exemple de cela puisqu’en contrebas des maisons, on peut voir encore trois pierres tombales. Sauf qu’ici, au lieu de vouer un culte aveugle aux anciens, l’expression “retour à la terre” prend tout son sens, puisque le potager a été aménagé tout autour des tombes qui s’y trouvent, laissant visibles seules les stèles. On peut notamment lire encore “Grand-mamie” entre les fleurs, les plants de potimarrons ou les rangées d’oignons. Le hameau de 4 ou 5 maisons appartient aux mêmes personnes qui l’ont retapé il y a plusieurs dizaines d’années, pour y vivre, puis y accueillir des gens, et puis dernièrement pour produire des produits alimentaires (miel, saucisson, champignons, etc).

À peine descendu de quelques pas sur le sentier qui mène au Pont-de-Montvert, qu’un flanc de colline vient cacher ce hameau qui retourne à l’anonymat, et que seul le randonneur averti aura la joie de découvrir. Après cela, il est difficile d’apprécier à sa juste valeur le village même du Pont-de-Montvert, qui pourtant avec ses rues étroites, ses ponts et ses rivières, son temple et son église, a tout du village carte postale de la France profonde. Mais c’est justement qu’on peut acheter sur place ces mêmes cartes postales. Que les terrasses sont pleines des touristes qui dégorgent des rares hôtels du coin. Que les rues à sens unique sont bloquées par des van wolkswagen. J’aurais pu me graver sur ces images. M’accouder à un muret de pierre pour observer l’eau couler paisiblement plusieurs mètres plus bas tandis que les premiers rayons du soleil pénétraient dans la ville. Entrer dans quelques commerces pour me restaurer ou garder un souvenir de ce lieu. J’aurais pu céder moi-même à ces plaisirs là si je n’avais pas goûté depuis la veille à celui plus subtile et délicat de vivre percher dans un hameau, dans ce même paysage mais loin du monde. Dans l’isolement mais sans la solitude.

Je laisse tout cela derrière moi, avec l’esprit léger de celui qui a vécu ce qu’il y avait à vivre, pour poursuivre ma route vers Florac. Florac et ses 546 mètres d’altitude. Beaucoup de dénivelé à venir, dans cette transition vers le début de la plaine. Mais avant cela il faut passer quelques cols, traverser des forêts, suivre des crêtes où le sentier se perd et où il faut jouer les cabris pour enfin se laisser couler le long du relief qui descend vers la sous-préfecture de la Lozère et ses 2000 habitants. Au loin, au nord, à travers quelques trouées dans les arbres, on peut deviner encore les bosses dénudées des monts traversés la veille.

À pieds par les chemins, les rencontres s’en vont s’en viennent. Quand elles sont là les kilomètres s’amenuisent, la perception du monde change. La trotteuse trotte plus vite en trottant conjointement.

À la compagne de voyage Dont les yeux, charmant paysage Font paraître court le chemin Qu’on est seul, peut-être, à comprendre Et qu’on laisse pourtant descendre Sans avoir effleuré sa main

Antoine Pol, Les passantes

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