J3 : Où sont mes trofie ?

La Corse Puis Le Belem
11 septembre 2018

Parcours : Bastia - Solenzara
Distance : 200 km

Un dernier tour de Bastia avant de filer vers le sud. Le vieux port déjà inondé de soleil est tout calme. Au loin les paquebots se dressent tels d’énormes immeubles, et on se demande comment ils peuvent flotter sans chavirer tant ils sont hauts. Le tirant d’eau doit être tout aussi important.

La ville est toute en montée, pleine de ruelles, de passages étroits, de marches et d’escaliers. Certains sont particulièrement majestueux, et se confondent en courbes et en paliers. L’impression générale est assez bonne, ce que j’ai vu de la ville reste vrai, elle n’a pas fait les yeux doux aux touristes outre-mesure. Et la pauvreté n’est pas masquée, de nombreux immeubles sont quelques peu délabrés sur le front de mer, aucun hôtel de luxe à l’horizon. À côté de cela il y a tout de même un taux important de Porsches au mètre carré. Mais au vue des bouchons pour rentrer dans la ville que j’ai pu constater le matin, je soupçonne qu’il y a toute une population riche qui est venue s’installer progressivement en maisons individuelles dans les banlieues chics de la ville.

Direction la Castagniccia, une région de Corse au sud de Bastia où lors de la domination de Gênes sur l’île, on avait encouragé les corses à s’adonner à la culture de la châtaigne. Depuis lors prospèrent tout un tas de châtaigniers qui se mélangent parfois aux chênes-vert et aux oliviers. Et la cuisine corse est encore assez imprégnée de cela, puisque la châtaigne et la farine de châtaigne plus particulièrement est assez présente dans les plats locaux. De même que dans les boissons puisque la Pietra, bière locale, est elle-même à base de farine de châtaigne.

Pour la première fois on peut profiter d’un peu de fraîcheur à l’ombre de ces arbres qui retiennent mieux l’humidité que le maquis. Et parmi eux entre autres les oliviers. Il est étonnant de constater qu’à l’état sauvage et non taillé, l’olivier n’a rien à envier en hauteur et en circonférence à un châtaigner. L’homme le contraint à sa mesure, mais il n’en reste pas moins un arbre qui n’a pas besoin de nous pour s’épanouir.

Encore beaucoup de lacets sur le chemin, et quelques chèvres. Et toujours des vieux assis devant leur maison au bord de la route ou au volant de leur voiture suivant leur troupeau. Toujours souriants. Toujours le geste lent et sûr de qui l’a déjà fait mille fois. Sans plus d’ambition que de faire ressembler le jour à la veille. Comme si le temps n’avait de prise sur eux. N’est-ce pas dans les petits villages méditerranéens que les gens vivent le plus vieux (et peut-être le plus heureux ?) ? Sans la recherche frénétique de quelque chose de mieux, et avec un régime alimentaire de légumes, d’huile d’olive et de poissons blancs ?

Un des nombreux villages isolés dans la montagne Un des nombreux villages isolés dans la montagne

Pour trouver un coin où manger, je m’enfonce un peu dans l’arrière pays, dans ce paysage vallonné parsemé d’oliviers sauvages et de chênes-liège. Je surprends quelques perdrix qui s’envolent aussitôt, et alors je ne peux m’empêcher de faire le lien avec les bartavelles de Pagnol tant le décor me semble identique. Je m’arrête là, à manger devant toute cette littérature. Puis je pousse même jusqu’à Stevenson et son voyage avec un âne, imaginant les chemins et le temps qu’il aurait mis pour atteindre le premier village que j’aperçois au loin.

Invitation au voyage Invitation au voyage

Quand il en vient l’heure de repartir, je suis surpris par un bruit animal assez proche que je n’arrive pas à identifier sur le moment. Je me dirige à pas de loups vers ce qui me semble en être à l’origine, courbant le dos, écarquillant les pupilles, guettant le sens du vent, l’oreille aux aguets, dégainant mon appareil photo pareil à un chasseur végétarien. Je n’ose imaginer la taille de l’animal tant le souffle et les grognements sont puissants. Je fais rapidement dans ma tête un tour des grands mammifères que le monde a connu, et je n’en compte plus assez en Corse pour me sentir en danger. Aussi je continue à patienter, et je suis récompensé peu après quand débarque à quelques mètres de moi… un porcelet bien en chair. Suivi par toute la fratrie, puis par la truie qui continue à grogner sans s’apercevoir de moi. Toute cette excitation pour voir des cochons sauvages…

Cervione. Le dernier village que je traverse par hasard au gré de mes pérégrinations. Il domine la plaine qui s’étend jusqu’à la mer, offrant une très belle vue dégagée sur l’horizon. Son clocher ocre se découpe dans le bleu écrasant de la fin d’après-midi. Autour de lui de nombreuses maisons en pierre, construites sur un versant de montagne, si bien que pour beaucoup de maisons le rez-de-chaussée sur la façade avant se trouve sous le niveau de la rue sur la façade arrière. On a donc derrière chaque maison un petit pont pour accéder de la rue au premier étage. Plusieurs ont aussi un petit coin de jardin, dans lequel figuiers et citronniers sont resplendissants.

Perché Perché

Il y a des choses que vous sentez tout de suite que vous n’aimez pas. Et bien c’est le cas lorsque j’arrive à Solenzara. Après tant de charme à Cervione, après tant de petits villages en pierre, silencieux, perchés dans les montagnes, une chose me saute aux yeux. Je fais face à une ville qui me semble montée de toutes pièces lors des dernières décennies. Une longue artère principale autour de laquelle ont poussé des hôtels, des résidences de vacances, des restaurants, un port de plaisance, une plage, des magasins de souvenirs et tant d’autres choses encore qui la font sembler à toutes ses villes côtières qui ont grandi avec l’essor du tourisme de masse. J’y passerai néanmoins la nuit.

Mais bon, après tout, j’aurais pu lui pardonner. Peut-être ne suis-je pas arrivé au meilleur moment de la journée pour l’apprécier, peut-être n’est-ce pas la bonne période dans l’année, peut-être l’hôtel n’est-il pas le mieux situé. Je peux passer sur certaines choses, je peux comprendre. Mais alors quand dans un restaurant, à la place des trofie al tartufo commandées on me sert des tagliatelle al tartufo en pensant certainement que je ne m’en rendrais pas compte, les quelques brins de conciliation qu’il me reste encore s’envolent dans le vent de ma colère, et je n’ai qu’une hâte, que le jour se lève enfin que je puisse fuir ce pays sans me retourner, droit et fier, me drapant d’une cape taillée dans ces tagliatelles trop cuites pour en faire autre chose.

Photos
(cliquez pour agrandir)