J2 : On remonte la Manche

Journal De Bord Transatlantique
9 août 2015

Je me réveille après une très bonne nuit de sommeil, bercé par le doux roulis du bateau. Un regard par le hublot et j’aperçois la mer bien plus foncée que hier. Elle est par ailleurs moins plate que la veille, ce qui explique les mouvements du cargo. Je suppose que nous avons quitté la Manche pour rejoindre l’Atlantique.

Au petit déjeuner, je suis frappé par une découverte des plus surprenantes. En effet, il se trouve sur la table des officiers, parfaitement à la vue de tous, un immense pot de Nesquick ! On peut être commandant d’un immense cargo et manger du Nesquick au petit déjeuner, ce n’est pas incompatible. De là à imaginer que Barbe Noire mangeait des tartelettes à la fraise, il n’y a qu’un pas.

Le ciel est parfaitement bleu sans nuages, ce qui permet de suivre la course du soleil et d’en extrapoler notre cap : nous n’avons pas encore viré de bord pour descendre plein Sud après avoir contourné la Bretagne ! Moi qui pensais que nous serions à Montoir dans la journée, à ce rythme nous n’y serons pas avant ce soir au mieux.

À part lors des repas, je ne croise que très peu de personnes sur le bateau, bien qu’il y ait tout de même 6 officiers et une trentaine de membre d’équipage. Ils sont par ailleurs toujours très polis et courtois quand on les croise, l’ambiance est détendue. Après le repas, mes aventureux compagnons de voyage m’emmènent visiter la salle de sport qu’ils ont découvert. Elle abrite deux vélos d’appartement, un tapis roulant, une table de ping-pong et une grande bibliothèque.

Le roulis continue, de manière régulière, mais n’est aucunement gênant, il berce tout comme le ronronnement des machineries auquel je me suis déjà habitué.

Le chemin de ronde Le chemin de ronde

Cela ne m’empêche pas de descendre tous les ponts pour rejoindre le chemin de ronde qui passe sous les containers, et d’arriver jusqu’à la proue.

La proue du cargo La proue du cargo

Le sol y est jonché de cordages et de chaînes qui servent à nous amarrer, mais ce qui surprend le plus c’est le silence. Le ronronnement régulier du navire est très atténué à cet endroit, et surtout le bruit des machineries est inaudible. Seul le très léger son du navire fendant les flots se fait entendre. Je n’ai pas encore eu le courage de monter sur le promontoire tout à l’avant, qui surplombe complètement l’océan. Une prochaine fois peut-être ! Un de mes compagnons passagers me dit avoir aperçu des dauphins à l’avant du bateau il y a quelques minutes à peine, alors je me pose contre le bord, je me penche, je scrute. J’attends j’attends, mais ils ne viennent pas ! Tant pis, ce n’est pas les occasions de descendre ici qui manquent de toute façon.

En début de soirée, une île apparaît à l’horizon, puis la terre ferme et l’embouchure de la Loire, et au loin le dessin caractéristique du pont de Saint-Nazaire.

Saint-Nazaire nous voilà ! Saint-Nazaire nous voilà !

Le pilote du port nous rejoint pour nous faire entrer par la grande porte, à une allure de sénateur, comme des rois venant se faire acclamer par les foules massées sur les berges. Tout le monde est au petit soin pour notre cargo, on aperçoit déjà le mouvement des dockers qui s’apprêtent à nous amarrer, et 2 petits bateaux pousseurs nous escortent pour nous faire manœuvrer. C’est à ce moment que les compétences du pilote entre en jeu, il connaît son port par cœur et donne les consignes au capitaine pour diriger son navire au mètre près. Nous effectuons un demi-tour (rappel, le cargo fait 200 mètres de long) en frôlant littéralement le quai et un autre cargo déjà amarré, avec l’aide des bateaux pousseurs, et sous l’œil du pilote qui maitrise parfaitement son sujet.

Le pilote à gauche, le capitaine à droite Le pilote à gauche, le capitaine à droite

Demi-tour et créneau Demi-tour et créneau

Il faut plusieurs dizaines de personnes pour manœuvrer et arrimer solidement notre cargo. Et dès que c’est fait, le ballet des grues et du chargement/déchargement reprend de plus belle. Le (la) second nous annonce qu’il va y avoir 400 « moves », c’est à dire déchargement et chargement de container, et que ce travail durera toute la nuit et se poursuivra demain matin.

Le contenu des containers n’est pas connu, sauf pour ceux qui sont déclarés en « dangereux » car en cas de feu il faut savoir ce qu’ils contiennent pour réagir de manière appropriée. Et qui rentrent dans cette définition là, nous avons des voitures et du shampoing. Pour le reste tout types de produits manufacturés. Par contre pour le retour c’est beaucoup plus simple, il n’y a que des bananes, des ananas et du rhum (ainsi que des containers vides qu’ils faut bien ramener en France).

Nous sommes arrivés à 21h environ, ce qui fait 31h de voyage pour faire Le Havre – Nantes. On commence à prendre conscience des distances et des vitesses avec ça.