J4 : hélitreuillage en pleine mer

La Mer Baltique Sur Le Belem
5 juillet 2019

Lieu : du détroit d'Øresund à Simrishamn

Le début de la nuit a été difficile, pris dans une mer plutôt agitée. Il faut arriver à bien se positionner dans sa bannette pour ne pas bouger sans cesse. Mais cela ne fait que caler les ballasts que nous sommes, sans pour autant réduire le roulis ni son ressenti. Emmitonné dans son duvet, sans vision sur l’extérieur ni sur la ligne d’horizon, il est difficile de se rendre compte de l’amplitude de chaque mouvement. En revanche on ressent parfaitement tout le reste. Depuis sa bannette, on sent la force du vent dans les voiles. On sent quand le bateau s’enfonce plus que d’habitude dans l’eau, on sent sa coque qui rentre dans la mer et les vibrations du bateau provoquées par la force de résistance de l’eau. On est une extension du bateau. On vit avec lui. On souffre avec lui. Pour une première nuit cela peut-être un peu rude, quand on reste à l’affût de chaque signe d’inquiétude potentielle sur la bonne marche du navire. Heureusement la fatigue fini par avoir raison de ces angoisses que plus d’un siècle de navigation du Belem a quoi qu’il en soit prouvé irrationnelles.

On vient nous réveiller un peu avant 4h pour le quart de nuit. J’ouvre péniblement les yeux, et je tombe nez à nez avec un monsieur en caleçon. Ah, c’est Bernie. J’enfile mon pantalon saveur encornet et je monte sur le pont. Malgré la fatigue, je suis pris de cette excitation qui ne me lâche pas. Cette envie de remonter à la surface après avoir passé la nuit dans les batteries. Cette curiosité de savoir ce que l’univers nous a réservé pendant que nous dormions. Et je m’élance hors de ma cabine avec la vivacité d’un sous-marinier assoupi qui a la chance de revoir la lumière du jour après 15 jours d’immersion.

Dans l’aube naissante, nous apercevons au loin derrière nous l’immense pont qui relie Copenhague et Malmö, passant au-dessus du détroit de Øresund. Et un nouveau champ d’éoliennes à bâbord. À cette période de l’année dans ce coin du monde, le soleil se lève très tôt. Et bientôt, alors que je suis à la barre, le soleil se lève dans mon dos, derrière le pont. Nous gardons le cap Est-Sud-Est durant notre quart. Sur le gaillard avant, à la veille avec les jumelles, il nous faut trouver les balises et les phares nous indiquant le chemin à suivre dans ce bras de mer assez fréquenté et relativement étroit. D’ailleurs le quart précédent a amené les voiles avant de rentrer dans ce passage, car la navigation à voiles y est interdite.

La mer est plus calme mais le vent toujours très bon, et à ce rythme là nous serons à Stockholm dans 2 jours. Le soleil lui est de sortie, et l’expérience de navigation s’en trouve complètement changée. Nous croisons aujourd’hui de nombreuses éoliennes off-shore dans les eaux danoises. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que rapporté aux nombres d’habitants, le Danemark est de loin le premier pays au monde en terme de parc éolien. En les voyant posés ainsi en plein milieu de la mer, perdu au milieu de rien, livrés à eux-mêmes, on se demande comment ces mâts de métal peuvent résister pendant des années aux forces de la nature qui sont en jeu ici.

Lorsque nous entrons dans les eaux territoriales de la Suède, nous abaissons le pavillon de courtoisie danois pour le remplacer par celui suédois. Il est nécessaire quand on entre dans les eaux d’un pays d’arborer un pavillon avec les couleurs dudit pays, pour signifier qu’on vient en paix et qu’on souhaite simplement traverser librement. Nous frôlons un instant l’incident diplomatique lorsque un matelot n’ayant pas révisé ses couleurs sera à deux doigts de hisser le pavillon norvégien à la place du suédois. Notre lien avec le Danemark n’est pas rompu pour autant, car en fin d’après-midi, alors que la mer nous enveloppe dans le ronronnement régulier de la houle sur la coque, nous distinguons le bruit d’un gros moteur qui se rapproche, et qui vient droit sur nous. Apparition totalement saugrenue, nous pensions avoir laisser la civilisation loin de nous et voilà qu’elle nous rattrape en hélicoptère. Il s’agit d’un appareil de secours des gardes-côtes danois. Nous assistons sans comprendre mais non point émerveillés aux préparatifs de ce qui semble chaque minute un peu plus une réalité : l’hélitreuillage d’une personne à bord. Et puis un danois, en combinaison orange casqué de blanc, se laissera descendre en rappel, dans le vide, jusqu’à atterrir après quelques tentatives sur la dunette arrière évacuée pour l’occasion. Et puis il repartira par le même chemin moins d’une minute plus tard. Lunette de soleil sur le nez, il nous saluera dans les airs avec l’assurance du sauveteur qui côtoie chaque jour le danger et qui a l’habitude d’être photographié dans ses œuvres. Le capitaine nous apprendra ensuite qu’il a vu au radar que les gardes-côtes étaient proches de nous, et il les a contactés par radio pour savoir s’ils voulaient venir faire un exercice avec le Belem. L’atterrissage sur la dunette n’avait d’autre but que l’échange d’une poignet de main et de quelques stickers.

Nous mouillons tout proche de la ville de Simrishamn, sur la côte sud-est de la Suède. Il nous est possible de descendre à terre en zodiac pour découvrir la ville. Je suis partagé entre l’envie de ne rien perdre de ce voyage, de découvrir le moindre recoin d’un port de plaisance suédois, et l’envie de rester en mer plus longtemps, de ne pas rompre ce lien si tôt. Finalement, debout depuis 4h du matin et après une journée pleine, c’est la fatigue qui viendra imposer sa décision.

Dans le couchant nous apercevons un drakkar qui glisse silencieusement vers l’entrée du port. Sa proue est constituée d’un dragon à trois têtes. Décidément, la mer nous réserve toujours son lot de surprise. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’un groupe de russes qui a construit ce bateau. Le drakkar est une réplique d’un bateau utilisé par un chef viking il y a plus d’un millénaire pour traverser la Baltique depuis la façade ouest de l’actuelle Russie. Il serait venu se faire enterrer sur une des îles proches de la côte suédoise, et leur objectif est de refaire le parcours de ce chef et de retrouver l’île en question.

Ainsi proche de la côte nous sommes un peu à l’abri, et il est moins dangereux de manger que hier. Nous avons d’ailleurs découvert un objet qui s’est révélé très utile ce midi et qui aurait probablement sauvé mon pantalon hier soir si nous en avions eu connaissance plus tôt : un filet anti-roulis. Il s’agit d’un filet qu’on installe sur la table en guise de nappe, et qui limite efficacement le mouvement des objets qui sont posés par-dessus. Ce soir encore, j’ai une faim de loup et les joues rouges de chaleur. Être marin c’est la santé.

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