J1 : départ en train

La Mer Baltique Sur Le Belem
2 juillet 2019

Parcours : Paris - Hambourg
Distance : ~1300 km

Je profite de ma correspondance à Francfort pour sortir de la gare et arpenter les alentours. Les rues sont larges et ensoleillées, et de nombreuses tours vitrées se dressent au loin. Si je l’avais oublié cela me revient subitement à l’esprit face à cet horizon : Francfort est une des plus grosses places financières d’Europe. La plus grande tour porte le triangle jaune de la Commerzbank, et s’élève au-dessus des autres, nous regardant de haut. Perdu dans ces réflexions, il est une odeur qui me frappe alors que je n’ai parcouru que quelques dizaines de mètres dans la ville. Et cette toute première odeur allemande, c’est celle de la saucisse grillée. Il y a un marché dans une rue piétonne et de nombreux stands qui vendent à manger. L’image est pour le moins cocasse, avec ces tours qui s’élèvent dans le ciel et qui déversent leurs cadres en costard dans ce marché populaire pour y venir manger des spécialités rôties avec des couverts en plastique. Je ne saurais dire si c’est le cadre d’un potentiel récit dystopique ou au contraire, les racines d’un espoir pour l’humanité.

Le trajet en train se poursuit en direction de Hambourg, dans un voiture à compartiment. J’ai l’impression de revenir 20 ans en arrière, de réveiller des souvenirs oubliés. C’est tout un pan de la réalité qui se déplace, c’est une vérité qui vacille, comme à chaque fois qu’on est confronté à l’altérité. Les certitudes qu’on pensait acquises ne le sont pas pour tout le monde. Les choses ne sont pas figées, elles ne sont que ce qu’on décide d’en faire.

Pourquoi les compartiments ont-ils disparu de nos trains français ? Pourquoi sommes-nous assis en rang dans le TGV ? Est-ce ici simplement une question de mathématiques et de nombre de passagers à faire rentrer dans un volume donné ? Ou est-ce le signe d’un changement plus profond, dans l’air du temps ? Le fait d’être dans l’open-space de la voiture sans compartiment nous donne accès à tout le monde, mais en réalité nous isole dans la masse.  Le compartiment nous implique personnellement, en face à face. On se salut, on se dit Tschüss quand on part. On voit les autres, cela ne peut entraîner que des comportements plus respectueux. On partage le trajet, ensemble. Mais peut-être ne vois-je que le côté romantique de la chose. Peut-être que se retrouver avec des voisins peu sympathiques peut rendre l’expérience bien plus désagréable quand on est ainsi en huis clos. 

Enfin peut-être que simplement le monde n’est plus ce qu’il était, que les déplacements sont d’une banalité effarante, que les récits du monde pleuvent à nous noyer. Le voyage n’est plus une aventure, mais un service. Heureusement, il est une chose qui ne change pas dans l’expérience du voyage en train, c’est le bercement qu’il induit. C’est l’état de rêverie, d’attente sans hâte. La faim et la soif n’ont plus de prise, le temps modifie sa course et se désintéresse de nous.

Alors que nous sommes proches de Hambourg et que le voyage touche à sa fin, nous nous arrêtons en pleine voie. Pour un motif dit en allemand, nous faisons demi-tour vers Hanovre. La magie de la traduction Google m’informe qu’il y a un feu de forêt qui menace la voie, nous obligeant à faire une boucle par Brême pour contourner le problème. J’apprendrai le soir que le feu a été causé par l’explosion de munitions enfouies sous un terrain d’entraînement militaire, anciennement utilisé par les nazis puis par l’URSS.

Aujourd’hui, entre les piétons qui traversent au rouge, et le contrôleur dans le train qui n’en a que faire de savoir si j’ai un billet valide quand il comprend que je ne parle pas la langue, il y a quelques préjugés sur les allemands qui s’en vont en quelques heures à peine. Le coup de la saucisse en revanche, me conforte dans certains autres.

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